Barrages et santé

Par Jean-Loup Rey

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Durant les 40 dernières années, un grand nombre de barrages ont été construits en Afrique. Ils sont de taille très variable, allant du grand barrage créant un lac de plusieurs Km2 à de petites retenues d'eau créées par des villageois aux environs de leur village. Mais tous ont une influence sur la santé des hommes qui habitent à côté, ou y viennent pour différentes raisons ou en dépendent indirectement.

I. Avantages directs

La plupart de ces barrages sont construits pour améliorer l'accès à l'eau afin de combler les besoins quotidiens des habitants : boisson, toilette et lessive. Cet avantage est majeur et d'autant plus important que le barrage est construit dans une région aride.

Avec le barrage, cet accès à l'eau devient régulier et permet de rendre disponible une plus grande quantité d'eau par habitant donc une meilleure hygiène.

Dans le domaine des maladies à transmission hydrique ou vectorielle liée à l'eau, ces barrages peuvent d'une part, si les quantités d'eau retenues sont importantes, diluer les agents pathogènes véhiculés par cette eau et donc diminuer les risques de transmission. D'autre part dans certains cas, la création de ces retenues fait disparaître une partie des rapides existant sur le cours d'eau et supprime ainsi les sites de multiplication du veteur et donc de contamination par l'onchocercose.

II. Avantages indirects

La quasi totalité des barrages sont créés, ou permettent la création d'aménagements hydro agricoles, pour augmenter les cultures de riz, autres aliments (légumes) ou cultures de rente. Il est certain que ces barrages entraînent une amélioration nutritionnelle, sauf s'il s'agit d'une seule culture de rente destinée à l'exportation ou à la transformation immédiate (canne à sucre).

Certains barrages, comme ceux construits au sud du Burkina Faso, apportent un surcroît très important en protéines animales grâce aux poissons qui s'y multiplient et aux activités de pêche qui se développent.

Enfin, dans la plupart des cas, les habitants de la région trouvent un nouveau travail et une source de revenus appréciable qui doit leur permettre d'améliorer leurs conditions de vie.

III. Inconvénients directs

Ces retenues d'eau peuvent favoriser le paludisme en rapprochant les hommes des vecteurs et la bilharziose en créant les facteurs favorisant la multiplication des mollusques hôtes intermédiaires.

Pour le paludisme, un barrage c'est plus d'eau de surface donc plus de moustiques, mais encore faut-il que ces moustiques et les hommes se rencontrent, ce qui n'est pas automatique. Tous les barrages n'augmentent pas la fréquence du paludisme.

Un barrage et surtout les surfaces irriguées qui en découlent c'est automatiquement des facteurs favorisant la bilharziose urinaire et même intestinale en particulier quand la température est favorable. Tous les barrages et tous les aménagements hydro agricoles ont favorisé l'expansion des bilharzioses allant jusquà créer des foyers de bilharziose intestinale dans des zones où elle ne pouvait pas se développer avant comme à Richard Toll au Sénégal.

L'ulcère de Buruli est plus fréquent chez l'homme quand celui-ci multiplie ses contacts avec l'eau, au moins dans les régions situées entre savane et fôret. La multiplication des petits barrages dans cette zone géographique est une des raisons de l'épidémisation récente de cet ulcère.

IV. Inconvénients indirects

Un inconvénient qui ne doit pas être sous estimé est lié aux changements socio économiques provoqués par la transformation du paysage et par les revenus nouveaux engendrés par la commercialisation des cultures ou par les salaires versés. A cause de ces barrages certaines sociétés sont déstabilisées et les maladies dites de civilisation apparaissent.

V. Au cours des travaux

Certaines maladies peuvent se multiplier comme la maladie du sommeil ou les viroses transmises par les moustiques dont la fièvre jaune pendant les travaux de construction. Il en est de même des maladies (leishmanioses) transmises par vecteurs et liées aux rongeurs dont les nids sont détruits lors des travaux ou inondés.

VI. Que faire ?

Il faut prévoir et prévenir, pour qu'un barrage, à juste titre considéré comme un progrès, ne soit pas source de maladies.

Il est nécessaire que les artisans du barrage prennent en compte dès la conception le problème de la santé.

Il faut inclure dès le départ un projet santé avec des structures, des moyens (0,5 % du coût du barrage est un bon taux), des hommes, des plans de lutte et prévention.

Pour le paludisme il faut mettre en place un programme d'accès aux moustiquaires imprégnées et rendre accessibles des moyens de diagnostic et traitement.

Pour l'ulcère de Buruli il faut prévoir des moyens de protection (bottes) et un système de surveillance et diagnostic précoce.

Pour les bilharzioses c'est plus compliqué mais il faut prévoir les structures de santé nécessaires, des moyens de lutte contre les mollusques et des traitements. Mais surtout il faut discuter avec les aménageurs pour éviter la multiplication des mollusques et pour éviter leur contamination par le parasite cest-à-dire :

  • aménager des latrines loin des eaux de surface et en aval des habitations ;
  • aménager des canaux et champs irrigués peu favorables aux mollusques ;
  • aménager des lieux de toilettes et lessive :
  • prévoir un assèchement régulier des canaux ;
  • favoriser l'approvisionnement en eau dans les villages (fontaines, robinets) pour diminuer les contacts avec les eaux des périmètres irrigués ;
  • créer des mutuelles (ou équivalents) pour faciliter l'accès aux soins et à la prévention ;
  • prévoir la formation des cadres et l'éducation à la santé pour les villageois.

Enfin il est anormal qu'un aménagement agricole pour cultures de rentes ne prévoit pas une surface pour des cultures vivrières.

Toutes ces actions sont à envisager le plus tôt possible avec les responsables de l'aménagement et concernent tous les villageois mais, il est certain que l'infirmier de la zone aura un rôle primordial à jouer. Si, dès la conception du projet la communauté propose des actions argumentées il est possible d'obtenir des moyens. Les concepteurs de ces projets ne connaissent pas les questions de santé et seront enchantés de trouver des interlocuteurs.

Si le projet agricole ou de barrage est ancien le débat est plus difficile mais il doit avoir lieu. Et il est possible de convaincre les responsables du barrage que si, les problèmes de santé surpassent en inconvénients les retombées positives du barrage, les habitants des alentours quitteront la région ou que les coûts de prise en charge des malades surpasseront les bénéfices du barrage. Ensuite des actions d'assainissement des villages et des projets d'amélioration de l'accès aux soins primaires sont envisageables.

Développement et Santé, n°177, juin 2005