Antibiotiques : modes d'action, mécanismes de la résistance

Par Pascale Lesseur, pharmacien, Paris

Publié le

Les bactéries pathogènes pour l'homme sont à l'origine de multiples maladies infectieuses qui, en particulier dans les pays en voie de développement, font encore des ravages. En 1995, ces maladies ont été responsables d'un tiers (17 millions de personnes) des décès dans le monde.

Les antibiotiques sont utilisés en médecine pour lutter contre des infections bactériennes et doivent être choisis en fonction de leur efficacité sur la bactérie responsable de l’infection. Il en existe de très nombreux, répartis en différentes familles. Ils sont très efficaces contre les infections bactériennes, mais n’ont aucun effet sur les infections virales. Ces molécules ont la propriété de tuer les bactéries (antibiotiques bactéricides) ou d’en limiter la multiplication (antibiotiques bactériostatiques).

Malheureusement, leur utilisation inadaptée a conduit à une émergence très inquiétante de bactéries de plus en plus résistantes, il est donc essentiel de prévenir cette résistance.

I. Qu’est-ce qu’une bactérie ?

Les bactéries sont des micro-organismes invisibles à l’œil nu, visibles au microscope (leur taille varie de moins de 1 micromètre à plus de 2 pour les plus grosses), Elles sont unicellulaires et n’ont pas de noyau.

Elles sont constituées d'un cytoplasme contenant un seul chromosome (patrimoine génétique) ayant la forme d'un long filament d'ADN pelotonné sur lui-même et non entouré d’une membrane, de petits fragments d'ADN circulaires (les plasmides) et des ribosomes permettant la synthèse des protéines.
Le cytoplasme est séparé de l'extérieur par une membrane cytoplasmique elle-même entourée d’une paroi cellulaire, enveloppe rigide qui garde la forme de la bactérie et lui donne sa résistance.
A côté de ces éléments constants, la cellule bactérienne peut posséder d’autres particularités. Elle peut, entre autres, être entourée d’une capsule qui joue un rôle important dans sa défense.

II. Mode d’action et classification des antibiotiques

Les antibiotiques utilisés en médecine sont fabriqués à partir de cultures de micro-organismes ou sont des produits de synthèse. Ils réduisent ou bloquent la multiplication des bactéries.
Le premier d’entre eux (la pénicilline) a été découvert en 1928 par Alexander Fleming, par hasard, chez le champignon Penicillium glaucum, et utilisé à partir des années 1940.
Depuis cette date, de nombreux antibiotiques ont été découverts. Ils sont classés en familles selon leurs modes d’action ou leur structure moléculaire.

Figure 1. Cellule bactérienne et modes d'action des antibiotiques

Il existe deux grandes catégories d’antibiotiques :

Les antibiotiques à spectre étroit : ils ne tuent qu’un nombre limité de bactéries. Ils peuvent cibler et tuer les bactéries à l’origine de la maladie tout en laissant en vie les autres bactéries, qui peuvent être bénéfiques.
Ces antibiotiques sont habituellement prescrits lorsque la bactérie à l’origine de l’infection est exactement connue.

Les antibiotiques à spectre large : ils sont efficaces contre de nombreuses bactéries, y compris certaines bactéries résistantes aux antibiotiques à spectre étroit.
Ce type d’antibiotique est prescrit lorsque l’on ne connaît pas exactement quelle est la bactérie à l’origine de l’infection ou lorsque la maladie est causée par plusieurs bactéries différentes.

III. La résistance aux antibiotiques

1. Comprendre la résistance bactérienne

La résistance aux antibiotiques est un phénomène général observé pour toutes les espèces bactériennes rencontrées chez l’homme. De plus, on assiste à des multi-résistances : une bactérie est résistante à plusieurs familles d’antibiotiques.
Les bactéries ont un grand pouvoir d’adaptation qui leur permet d’acquérir de nouvelles propriétés (modification de leur génome ou information génétique nouvelle) leur permettant de résister aux antibiotiques.

On distingue la résistance naturelle et la résistance acquise :

  • La résistance naturelle concerne toutes les souches d’une espèce bactérienne et pré-existe à l’usage des antibiotiques. Cette résistance est chromosomique et a un caractère permanent transmissible aux cellules filles lors de la réplication bactérienne.
  • La résistance acquise ne concerne qu’une partie des souches d’une espèce bactérienne normalement sensible et apparait à la suite de l’utilisation des antibiotiques. L’acquisition d’un nouveau mécanisme de résistance résulte :
    • soit d’une mutation survenant sur le chromosome bactérien,
    • soit de l’acquisition d’une information génétique provenant d’une bactérie déjà résistante.

2. Principaux mécanismes de résistance aux antibiotiques

Trois principaux mécanismes de résistance sont actuellement connus :

  • Inactivation de l’antibiotique par une enzyme bactérienne : c’est la situation la plus fréquente.
  • Diminution de la quantité d’antibiotique atteignant la cible
    L’antibiotique n’est pas modifié, mais il ne peut pas accéder à sa cible au sein de la bactérie :
    • Soit parce qu’il ne peut plus y pénétrer en raison de la baisse de la perméabilité membranaire.
    • Soit parce qu’il est expulsé activement vers l’extérieur de la bactérie par des protéines jouant le rôle de pompe (systèmes d’efflux).
  • Modification de la cible
    • Modifications quantitatives : par exemple, l’absence de paroi chez les bactéries du genre Mycoplasma est responsable de leur résistance naturelle aux β-lactamines.
    • Modifications qualitatives : la modification de la structure de la cible peut diminuer son affinité pour l’antibiotique. C’est un mécanisme fréquent de résistance acquise.
    • Protection de la cible : c’est une protection réversible de la cible (par des protéines empêchant la fixation des quinolones, par exemple).

Figure 2. Les différents mécanismes de la résistabnce aux antibiotiques

IV. Pour votre pratique quotidienne

1. Certains germes sont faciles à traiter

Streptocoque A : responsable d’angines avec risque de complications cardiaques graves (Rhumatisme Articulaire Aigu, RAA).
Les pénicillines orales ou injectables son toujours efficaces (pénicilline V), les macrolides le sont de moins en moins.

Tréponème, responsable, entre autres, de la syphilis:
Les pénicillines injectables : extencilline : 2,4 millions d’unités en une fois.

Bordetella pertussis (coqueluche)
L’antibiotique fait disparaître la contagiosité, mais arrive trop tard pour guérir de la toux notamment.

Chlamydia
esponsable d’urétrite et d’infections respiratoires :tétracycline, azithromycine.

Haemophilus influenzae
Ne devrait plus se voir grâce à la vaccination(PEV). Il est l’un des responsables de méningites : céphalosporines de 3ème génération.

2. Pour d’autres infections particulières, l’antibiothérapie est bien définie

Vibrio cholerae
Responsable du choléra : macrolides (érythromycine) , tétracycline.

Lèpre : rifampicine + dapsone.

Pasteurella pestis , responsable de la peste : streptomycine injectable

3. Pour les autres germes

Comme il est précisé, l’idéal est de disposer d’un antibiogramme et de tenir compte des données locales des autorités de santé.

Cela est surtout vrai pour le colibacille, responsable d’infections urinaires graves, le pneumocoque ou, en l’absence de données, l’amoxicilline en 3 prises à doses élevées est la réponse la plus prudente.

Même remarque pour le gonocoque, les salmonelles et les shigelles, le pire étant le staphylocoque doré.

Conclusion

La découverte des antibiotiques a été un progrès majeur en médecine et a révolutionnée la lutte contre les maladies infectieuses. Néanmoins, leur efficacité est réduite par l’apparition de résistances dues à une utilisation mal contrôlée.

Les mécanismes de la résistance sont néanmoins connus et doivent permettre aux soignants d’adapter leurs prescriptions.