Allaitement maternel : caractéristiques et avantages

Par Par Micheline Amzallag Pédiatre, Créteil, France.

Publié le

I. Allaitement maternel

Depuis 1990, date de la Déclaration d'Innocenti, la conduite de l'alimentation chez le nourrisson et le jeune enfant a connu de grands progrès. Toutefois, des méthodes d'alimentation et des compléments nutritionnels inadaptés sont encore responsables de millions de décès et de séquelles chez les enfants. La seule promotion de l'allaitement maternel efficace permettrait de sauver chaque jour 3 500 vies, chiffre supérieur à celui que l'on évalue dans le cadre de n'importe quel autre programme de prévention !
Dans le cadre de la Convention Internationale des Droits de l'Enfant (CIDE), il suffit de favoriser un environnement constitué de personnes informées du meilleur choix en matière d'alimentation autour de l'enfant : la mère, les familles ou le personnel soignant. Le message est le suivant :

Le nourrisson doit être nourri exclusivement au sein pendant six mois, suivi de l'introduction de compléments alimentaires appropriés en association avec l'allaitement maternel, ceci au moins jusqu'à l'âge de deux ans.

Promouvoir cette attitude requiert la mise en place de soutiens éducatifs et informatifs dans le but de permettre le meilleur développement de l'enfant et sa bonne santé, ce qui est en fait l'un des droits fondamentaux de l'enfant.
L'infirmier et la sage-femme sont des acteurs clés : ce sont eux qui vont suivre la grossesse et donc donner les informations et les conseils avant la naissance pour que cet allaitement maternel puisse se mettre en place. Cette éducation doit même débuter beaucoup plus tôt, lors de la scolarisation des enfants, avec des programmes éducatifs développant les éléments d'une "alimentation saine" pour l'enfant, et au cours desquels sera abordé ce point particulier. Ces programme peuvent être développés avec un partenariat dispensaire-équipe éducative scolaire (cf programme de la FAO dont le lien est donné dans site www.devsante.org)

II. Pourquoi le lait maternel est-il le meilleur ?

Le lait maternel est le meilleur aliment pour le nourrisson, le moins cher et "prêt à l'emploi". Il est également le cordon affectif invisible qui relie le nourrisson à sa mère, comme le fut le cordon ombilical in utero durant la grossesse.
La composition du lait maternel est variable dans le temps : au cours de la journée, au cours de la tétée, en fonction du terme de l'enfant et de l'alimentation maternelle : c'est un lait "sur mesure".

Composition du lait maternel

La composition du lait varie selon les 3 étapes de la lactation maternelle :

  • de JO à J5 : c'est le colostrum,
  • de J6 à J12 : c'est le lait de transition,
  • de J13 à la fin de l'allaitement maternel : c'est le lait mature.

La composition de ce lait a également des spécificités en fonction du terme de naissance de l'enfant.

a) Spécificité du colostrum

  • Aspect jaunâtre et épais.
  • Riche en protéines et en sels minéraux, pauvre en graisses et en sucres.
  • Contient beaucoup d'immunoglobulines qui permettront au nouveau-né de se défendre contre les infections.

b) Composition du lait de transition

Elle varie progressivement entre celle du colostrum et celle du lait mature, on ne peut donc en donner une description détaillée.

c) Composition du lait mature

  • Le lait mature est moins riche en protéines et en sels minéraux, mais beaucoup plus riche en lactose ("sucre du lait").
  • Les protéines du lait maternel sont composées de 60 % de protéines solubles digestes et de 40 % de caséine moins digeste.
  • De plus, le lait contient des immunoglobulines qui permettront au nourrisson de se défendre contre les infections en attendant que son système immunitaire devienne plus compétent.
  • Les sucres du lait se composent d'une part de lactose (disaccharide), d'autre part d'oligosaccharides qui favorisent l'implantation d'une flore bifidogène. Celle-ci protège le nourrisson des gastro-entérites, redoutables en raison du risque de déshydratation aiguë. Les sucres favorisent également la motricité du tube digestif, donc le transit intestinal.
  • Les lipides (graisses) sont essentiels à la fois sur le plan énergétique et pour le développement du système nerveux central et des fonctions visuelles. Le taux de ces acides gras essentiels est dépendant de l'alimentation maternelle.
  • Le calcium et le fer sont mieux absorbés car le lait maternel contient des facteurs favorisant leur absorption par la muqueuse intestinale.
  • En revanche, le lait de mère est pauvre en vitamines liposolubles, il est donc important de supplémenter le nouveau-né :
    • en vitamine K pour lutter contre les hémorragies néo-natales,
    • en vitamine D s'il est peu exposé à la lumière solaire, afin de lutter contre le rachitisme (10 minutes d'ensoleillement suffisent à assurer la production quotidienne nécessaire).

Le lait de mère peut être comparé à un tissu vivant parfaitement adapté aux besoins de l'enfant pendant les six premiers mois. Il s'adapte en permanence aux microbes de l'environnement maternel, la mère fabriquant constamment des anticorps dirigés contre ces microbes. C'est pourquoi le contact permanent entre la mère et l'enfant est si important (voir Méthode kangourou).

Comparaison du lait maternel et d'une préparation commerciale de lait pour nourrissons
Nutriments Présents dans le lait maternel Présents dans une préparation commerciale Effet physiologique
Eau Oui Oui Apporte l'hydratation correcte de l'enfant
Protéines Oui : 1,20 g/L Caséine et protéines solubles Oui : 3,30 g/L dans le lait de vache Fournissent de l'énergie, nécessaire à la formation des muscles et à la croissance du nourrisson
Glucides Oui : 8 g/L Lactose et oligosaccharides Oui : 4,8 g/l dans le lait de vache Principale source d'énergie, nécessaire à la croissance et au développement du nourrisson, le glucose est le seul carburant du cerveau
Lipides Oui : 3,80 g/L Oui ; 3,80 g/L dans le lait de vache Emmagasinent l'énergie, nutriment nécessaire au développement du cerveau
Vitamines et minéraux Oui, tout particulièrement la vitamine A 0,71g/L (sels minéraux) dans le lait de vache Nécessaires au développement du nourrisson, essentiels pour la formation des os et des dents, et à la prévention de l'anémie
Hormones
  • Thyroxine
  • Insuline
  • Cortisol
  • Prostaglandines
Oui Oui Oui Oui Non Non Non Non Protège possiblement contre l'hypothyroïdie congénitale Régule la glycémie Régularise le métabolisme et favorise la maturation du système immunitaire
Enzymes
  • Amylases
  • Lipases
  • Lysozymes
Oui Oui Oui Non Non Non Facilitent la digestion des aliments
Facteurs de croissance Oui Non Facilitent la croissance et la maturation intestinale
Facteurs antibactériens, antiviraux et antiparasitaires
  • IgA
  • IgM
  • IgD
  • IgG
  • bifidobactéries
  • lactoferrine
  • oligosaccharides
  • caséine
  • cellules vivantes (macrophages, lymphocytes T et B
  • Oui
  • Oui
  • Oui
  • Oui
  • Oui
  • Oui
  • Oui
  • Oui
  • Oui
  • Non
  • Non
  • Non
  • Non
  • Non
  • Non
  • Non
  • Non
  • Non
Protègent contre les infections bactériennes, virales et parasitaires

III. Comment assurer une bonne lactation ?

Il est important de préparer l'allaitement maternel avant l'accouchement, pendant le dernier trimestre de la grossesse, pour qu'il débute dès la première heure après l'ac-couchement. Dans certaines réglions, il est de coutume de jeter le colostrum, "jaune et sale", considéré comme néfaste pour l'enfant.
Mais il faut savoir qu'un quart des cas de mortalité infantile en Afrique subsaharienne survient dans les 28 premiers jours de vie, et que l'un des moyens efficaces de lutte contre ce fléau est l'allaitement maternel dès la première heure.

1. Les explications à donner à la mère

La sage-femme ou l'infirmier qui suit la mère durant la grossesse doit prendre le temps de lui expliquer l'intérêt de ce lait des premières heures (l'OMS recommande de le débuter dans l'heure suivant la naissance). Lorsqu'il n'y a pas de personnel de santé, il est possible de former des groupes de pairs, en général des femmes qui ont déjà allaité et qui sont convaincues des bienfaits de cette pratique (ce type de groupe est mis en place au Burkina-Faso, au Niger, au Bénin,...). Divers outils éducatifs leur sont fournis. Ils concernent à la fois l'allaitement maternel, l'alimentation de l'enfant après 6 mois et de l'enfant malade, le lavage des mains, les carences en micronutriments, l'équilibre alimentaire, l'alimentation de la femme enceinte, la prise en charge des diarrhées, la prévention du paludisme, la vaccination, la stimulation de l'enfant (clubs de mères au Niger). Cette démarche a déjà fait ses preuves.

Il est également important d'expliquer à ces mères que le lait maternel est composé à 80 % d'eau et qu'un apport supplémentaire en eau n'est pas nécessaire. II est souvent difficile d'administrer à ces nouveau-nés une eau garantie potable et cela risque de provoquer des infections gastrointestinales souvent gravissimes.

Le lait maternel peut être présenté comme un "vaccin naturel" contre bien des fléaux présents dans ces contrées (paludisme, gastro-entérites...).
Enfin, le lait de mère étant également riche en vitamine A, il est donc un facteur de lutte contre la cécité liée à une carence de cette vitamine qui est une cause importante de cécité dans ces régions.
Il faut également lutter contre les traditions néfastes pour la santé de l'enfant : administration en période néonatale de breuvages contenant certaines plantes, dont les vertus seraient de purifier l'organisme mais qui sont une cause supplémentaire de mortalité néonatale : beurre de karité, cendres pour purifier l'enfant... qui peuvent entraîner des atteintes rénales ou des diarrhées.
Pour que l'allaitement maternel soit réussi, il est également indispensable, en fin de grossesse, de s'assurer que le mamelon n'est pas ombiliqué. Si c'est le cas, il faudra apprendre à la future mère comment réaliser un massage des seins pour désombiliquer le mamelon.

2. En cas de pathologie chez la mère

Malnutrition maternelle

Il est possible que la lactation ne soit plus suffisante : il faut alors, dans la mesure du possible, continuer à favoriser l'allaitement maternel en prenant les mesures suivantes :

  • alimenter et hydrater la mère pour augmenter la production de lait,
  • empêcher le bébé de téter en fixant un tube sur le téton de la mère par lequel le bébé peut s'alimenter, tout en continuant la stimulation de la lactation.

Mère porteuse du virus VIH

Dans les années 1985, période de la découverte de cette infection, chaque année environ 200 000 à 350 000 enfants des pays en développement étaient contaminés lors de l'allaitement maternel. Plus de 10 millions d'enfants de moins de 5 ans mouraient chaque année d'affections qui auraient pu être évitées : malnutrition, pneumonies, infections néonatales, diarrhées, tout particulièrement. Durant ces deux années qui ont suivi, 35 % des décès pouvaient être évités par un allaitement maternel.

La transmission périnatale du VIH peut se produire à la fois durant la grossesse, la délivrance et l'allaitement maternel. Le risque de transmission lors de l'allaitement, estimé de 5 à l5%, dépend de plusieurs facteurs : l'état de santé maternel (taux de CD4), l'alimentation par allaitement maternel exclusif pendant les 6 premiers mois et la durée d'allaitement dans les mois qui suivent. Devant les risques de contracter une autre maladie grave en cas d'alimentation par un lait artificiel durant les 6 premiers mois, il est recommandé à la mère porteuse du virus VIH d'allaiter son enfant pendant 6 mois. En effet, le risque de contracter une infection létale durant cette période est très supérieur à celui de transmission du virus, Actuellement, les recommandations de l'OMS sont donc d'allaiter les enfants jusqu'à 6 mois même dans cette situation, Cette attitude est à promouvoir activement car les mères, ne connaissant pas ces arguments, ont souvent encore peur d'allaiter leur enfant. De plus, le risque de transmission du virus est très faible si la PTME a été correctement mise en place.

En conclusion

L'allaitement maternel est une alimentation exclusivement à base de lait de mère pendant les 6 premiers mois de vie. L'enfant ne reçoit ni eau, ni sucre, ni lait artificiel, ni breuvage traditionnel, ni laxatif, ni aucune autre forme de liquide ou d'aliment semi-solide. Cet allaitement contient tous les nutriments requis par cet enfant pour assurer durant cette période sa croissance et son développement harmonieux.

Les bénéfices pour l'enfant

  • Les enfants nourris au sein sont en meilleure santé et sont moins souvent malades.
  • Cette alimentation assure tous les besoins jusqu'à l'âge de 6 mois.
  • L'allaitement maternel aide à protéger le nourrisson contre les maladies communes de cette période, en particulier les gastro-entérites et les pneumonies. Le colostrum, lait des premiers jours, épais et jaune, est particulièrement riche en éléments protégeant l'enfant contre les infections.
  • Le lait maternel est facilement digéré par l'enfant.
  • L'allaitement maternel permet un bon étayage de la relation mère-enfant, il favorise le bon développement psycho-affectif de l'enfant.
  • L'allaitement maternel protège des risques liés à la préparation du lait artificiel : contamination par des germes ou erreur de dilution.

Les avantages pour la mère

  • C'est un mode d'alimentation propre, sûr et gratuit, il n'engendre pas de dépense pour le foyer familial.
  • L'allaitement maternel protège des hémorragies de la délivrance en permettant une involution utérine plus rapide.
  • Il permet de mettre en place une bonne relation mère-enfant.
  • Il réduit le risque de nouvelle grossesse (mais il ne peut pas être considéré comme un moyen de contraception car cette période dite de "six mois" est variable d'une femme à l'autre).
  • II lutte contre la carence martiale.
  • Il permet de réduire les frais de santé car l'enfant est moins souvent malade.

Les avantages pour la famille et la société

  • C'est une ressource naturelle qui assure la sécurité pour 6 mois.
  • C'est une économie car on évite la dépense que représente un lait artificiel.
  • C'est une économie énergétique (pas d'eau à faire bouillir pour la préparation du lait).
  • Il a un impact économique à l'échelle du pays car il évite l'importation de produit de l'étranger.

Développement et Santé, n°197/198, 2010