Aide à l'organisation d'un réseau périnatal en Côte d'Ivoire : témoignage

Par Dr Eric BOEZ, pédiatre néonatologue ; Dr Dominique LEYRONNAS, pédiatre néonatologue ; Dr Robert DEVAUX, pédiatre ; Camille DUJARDIN, sage-femme

Publié le

Pédiatres du monde (PDM) est une ONG d’aide au développement à spécificité pédiatrique, fondée en 2003 à partir du groupe “humanitaire” de l’Association Française de Pédiatrie.
Créée par des pédiatres libéraux, elle fonctionne avec des missions courtes, compatibles avec l’exercice libéral (une à trois semaines), sans que la cohérence du projet global ne s’en trouve affectée. Elle a intégré avec le temps d’autres professionnels médicaux ou paramédicaux qui ont permis de développer des projets variés.

Un gros travail de coordination est réalisé en amont et en aval de ces missions, permettant de mener des programmes cohérents, en partenariat avec les acteurs locaux; selon les pays et les missions, l’aide sera centrée sur la formation, la logistique, l’accès à l’eau, la nutrition, la santé de la mère et de l’enfant, l’hygiène, l’apport de petit matériel, notamment consommables ...
Ceux qui souhaitent plus de détails sur Pédiatres du Monde et les différentes missions peuvent se rendre sur le site
http://www.pediatres-du-monde.org/

Comme nombre d’ONG, PDM reçoit de nombreuses sollicitations. L'une d'elles, reçue en janvier 2013 et émanant d’un pédiatre travaillant en CHU à Abidjan, le Docteur Cissé, retient notre attention : il parle de formation, de travail en équipe, de réseau périnatal, de transfert de compétences... PDM souhaite répndre à cette demande de conseils sur l'organisation des soins périnataux et d'aide à la création d'un véritable réseau périnatal.

Pour constituer l’équipe qui sera chargée de ce travail, un appel est lancé aux membres de PDM. Très rapidement, l’équipe est au complet; elle comprend deux pédiatres néonatologistes, un pédiatre “généraliste” ayant une expérience antérieure de la Côte d’Ivoire et une sage-femme.

Un très bon article (1) écrit par l’équipe de pédiatrie du Pr Oulai, chef de service au CHU de Treichville, décrivant l’organisation des soins et les différents problèmes posés dans la prise en charge des nouveaux-nés à Abidjan sud nous permet de mieux comprendre les problèmes posés et de préparer cette mission, qui se déroule du 16 au 30 novembre 2013.

Les objectifs fixés

Ils sont de diminuer la mortalité néonatale en :

  • limitant les naissances en milieu inadapté (développement du transfert in utero),
  • améliorant les moyens de prise en charge du nouveau-né à la naissance, moyens finalement assez simples : aspiration fonctionnelle et sondes à usage unique, ballon à valve unidirectionnelle, oxygène et possibilité de réchauffer un enfant lorsque la maman n’est pas disponible pour le peau à peau ;
  • développant les formations et l’écriture de protocoles communs au réseau ;
  • réfléchissant à l’organisation des transferts.

Le programme de travail

Il a été fixé par nos collègues ivoiriens et va nous permettre de visiter sept établissements du secteur de Abidjan Sud :

  • le CHU de Treichville
  • les hôpitaux généraux de Marcory, de Koumassi, de Port Bouët
  • formations sanitaires à base communautaire (FSUCOM) Arras 3 et Vridi Cité
  • Centre Medico Social Ste Thérèse de l’Enfant Jesus de Koumassi

Dans chaque établissement, nous rencontrons le directeur ou le médecin-chef, les cadres, les obstétriciens, les pédiatres et les équipes (sages-femmes, infirmiers, ...) qui répondent à toutes nos questions. Nous effectuons une visite complète des locaux et participons à un débriefing final avec l’équipe.

L’organisation est basée théoriquement sur trois niveaux, le niveau 1 relevant de l’accouchement physiologique et le niveau 3 recevant les grossesses et les enfants les plus à risque.

Nos constats concernent

Les locaux

  • Ils sont généralement spacieux et propres, mais anciens et méritant le plus souvent d’être rénovés.
  • Il n’y a le plus souvent pas de bloc permettant de réaliser une césarienne, ce qui génère des transferts en urgence
  • Il n’y a pas de structure de niveau 2 permettant d’accueillir des bébés nécessitant une hospitalisation et ne relevant pas d’un niveau 3, ce qui encombre les services du CHU.
  • Il manque de points d’eau accessibles permettant de se laver les mains.
  • Il manque même parfois le minimum hôtelier (lits, matelas...).

Le personnel

  • Les sages-femmes fonctionnent en gardes de 24 heures et assurent la responsabilité des urgences maternelles et néonatales et les décisions de transfert.
  • Les pédiatres sont peu ou pas présents en salle de naissance, voire complètement absents de la maternité.
  • Les obstétriciens sont présents sur place la journée et joignables au téléphone la nuit.

Le matériel

A part l’oxygène, disponible partout, les maternités ne disposent souvent pas du minimum nécessaire à la réanimation d’un nouveau-né. Or, le plus souvent, la réanimation d’un nouveau-né à terme repose sur la ventilation et l’O2 est rarement utilisé.

La formation

Le programme de formation SONU (soins obstétricaux et néonataux d’urgence) délivré en Côte d’Ivoire est adapté et complet et mérite d’être intensifié pour toucher toutes les équipes. L’absence du matériel adéquat le rend malheureusement souvent inopérant.

Les transferts

Non pris en charge financièrement, ils sont réalisés le plus souvent en taxi ou avec le véhicule personnel, sans mise en condition initiale et sans accompagnement .

Propositions d'amélioration

A la fin des deux semaines, nous avons pu faire quelques propositions d’amélioration :

  • Optimiser les locaux et les équiper de points d’eau accessibles et fonctionnels.
  • Poursuivre les formations entreprises et valoriser le transfert de compétences aux sages-femmes.
  • Equiper les salles de naissance du minimum de matériel d’urgence nécessaire.
  • Inciter les pédiatres à “investir” le travail en maternité.
  • Créer un vrai réseau périnatal avec une communication entre établissements permettant une meilleure orientation des patients, si possible en antenatal.
  • Travailler à la collaboration obstétrico-pédiatrique.
  • Améliorer les conditions de transfert avec mise en condition initiale et surveillance pendant le transport.

En conclusion

Quelle que soit la région dans le monde (notre expérience était jusque là limitée à la France et à la Moldavie), nous retrouvons les mêmes principes simples et des actions à mener, pas nécessairement très coûteuses, qui permettent d’améliorer rapidement le pronostic des nouveau-nés à la naissance :

  1. Un bon dialogue entre obstétriciens et pédiatres permettant une anticipation des situations à risque et des accouchements dans un centre de niveau adapté.
  2. Un réseau organisé autour d’un centre de niveau 3 bien équipé (c’est le point le plus coûteux) pour les bébés nécessitant réanimation et/ou soins intensifs, de centres de niveau 2 permettant de soigner des bébés moins malades (infections, ictères, prématurité modérée), et de maternités de proximité pour grossesses et accouchements physiologiques (la grande majorité des grossesses et accouchements), avec une bonne communication entre les établissements du réseau et une bonne organisation des transferts antenataux (de préférence) ou post-nataux.
  3. Une bonne formation des professionnels de première ligne (sages-femmes le plus souvent) à l’accueil et à la réanimation du nouveau-né à la naissance, réanimation reposant essentiellement sur l’évaluation et la ventilation (avec ou plus souvent sans oxygène). Cette formation doit être régulièrement renouvelée.

(1) Prise en charge du nouveau-né dans le secteur sanitaire public d’Abidjan Sud: défis et perspectives. Oulai S, Cissé L, Ouattara GJ, Niangué-Beugré NM, Koné L, Andoh J. Afrique Biomédicale 2010, Vol 15, n°4, 104-112