Abcès du foie

Par Olivier Rogeaux Médecin, Centre hospitalier de Chambéry, France.

Publié le

Les abcès du foie correspondent à la présence de pus collecté en une ou plusieurs poches à l'intérieur du foie. Ils peuvent être bactériens ou amibiens et sont plus fréquents en pays tropical que dans les pays du Nord. Actuellement leur traitement est médical.

I. Pathogénie

Le foie est un organe particulièrement résistant à l'infection, probablement grâce au système de défense réticulo-endothélial hépatique qui assure la destruction des bactéries arrivant par le système porte.

Un abcès du foie peut avoir plusieurs origines :

  • biliaire : à partir d'une infection des voies biliaires ascendantes (cholangite),
  • portale : à partir d'une thrombophlébite septique ou d'embolie septique compliquant une infection intra-abdominale (appendicite, infection péritonéale, amibiase colique),
  • infection par contiguïté : à partir d'un foyer de voisinage (infection de la vésicule biliaire...),
  • septicémique : à partir d'un foyer infectieux à distance et dissémination hépatique par l'artère hépatique,
  • secondaire à un traumatisme pénétrant du foie (blessure par arme blanche...).

Dans 20 à 25 % des cas, aucune source étiologique de l'abcès n'est mise en évidence. Ceci correspond probablement à des foyers infectieux à distance infra cliniques.

II. Principales causes des abcès du foie

1. Bactériennes

Les abcès bactériens sont souvent poly microbiens (55% des cas). Les gènes principalement responsables sont les bacilles Gram négatif (entérobactéries, en particulier E. Coli), les entérocoques et les anaérobies.

On retrouve des streptocoques ou des staphylocoques dans moins de 20 % des cas. Le micro-organisme responsable est fonction du terrain sous-jacent et du mécanisme étiologique de l'abcès.

2. Amibiennes

L'amibiase colique se complique d'un abcès amibien hépatique dans 3 à 9 % des cas.

Celui-ci peut survenir alors qu'il n'existe plus de signes digestifs coliques, ni de parasites dans les selles. L'antécédent clinique d'amibiase digestive n'est donc pas nécessaire pour porter le diagnostic.

III. Aspect clinique

  • Le symptôme principal est la fièvre, souvent oscillante, associée à des frissons se prolongeant sur plusieurs jours à semaines et s'accompagnant d'une altération progressive de l'état général : fatigue, perte d'appétit, amaigrissement rapide.
  • Une douleur de l'hypocondre droit est habituelle, souvent très vive, irradiant vers le dos et vers l'épaule droite, gênant l'inspiration profonde.
  • Elle gêne la palpation du foie qu'on pourrait trouver gros, mais dont le bord inférieur est très difficile à repérer. La percussion du foie (ébranlement) exagère ou réveille cette douleur de façon parfois atroce : elle ne doit être faite qu'avec prudence si elle est nécessaire. Elle fait la preuve du diagnostic.
  • En cas d'abcès du lobe hépatique droit (cas habituel), des signes respiratoires trompeurs sont fréquents, attirant l'attention sur le thorax : toux, point de côté, signes d'épanchement pleural (en réaction à l'abcès du foie), douleurs thoraciques.
  • L'ictère est rare, sa présence témoigne habituellement d'une angiocholite associée ou d'une atteinte hépatique diffuse en cas d'abcès multiples.
  • Parfois le tableau peut être trompeur avec présence d'une fièvre isolée avec très peu de symptômes douloureux de l'hypocondre droit.

IV. Diagnostic

1. Biologie

L'hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles est habituelle. Il n'existe pas d'insuffisance hépatocellulaire. Les transaminases sont en général normales, les phosphatases alcalines modérément augmentées.

Les hémocultures, quand elles peuvent être réalisées, en particulier avec milieu anaérobie, sont positives dans 50 % des cas d'abcès bactériens.

La sérologie d'amibiase est fortement positive en cas d'amibiase hépatique. Elle a une grande valeur diagnostique.

En revanche, l'examen parasitologique des selles a peu d'intérêt car positif, il n'affirme pas le diagnostic, et négatif ne l'écarte pas.

2. Imagerie

  • Les clichés du thorax et de l'abdomen apportent des éléments d'orientation importants pour évoquer le diagnostic d'abcès hépatique : surélévation de la coupole diaphragmatique droite, atélectasies du champ pulmonaire inférieur droit, épanchement pleural droit, clartés gazeuses intra hépatiques.
  • L'échographie est devenue l'examen de référence pour le diagnostic d'abcès hépatique. Elle met en évidence une image arrondie hypoéchogène bien limitée, à parois épaisses. Des échos internes donnant un aspect inhomogène de l'image sont fréquents : ils correspondent à des débris, des cloisons ou des gaz. L'échographie permet de préciser le stade des lésions, leur nombre, leur taille, leur siège et de faire un bilan des structures de voisinage pour rechercher une complication ou un foyer infectieux primitif (cholécystite...). Les abcès peuvent être multiples.
  • L'intérêt du scanner est très limité.

3. Ponction

La confirmation du diagnostic peut être apportée par la ponction de l'abcès, avec une grosse aiguille longue montée sur une seringue de 20 ml. Si l'abcès est cliniquement difficile à localiser, ou profond, la ponction est guidée par l'échographie. La ponction ramène un liquide purulent, épais, et tente de vider l'abcès.
L'aspect du liquide oriente vers l'étiologie :

  • c'est du pus franc en cas d'abcès bactérien,
  • c'est du pus hémorragique : brun chocolat en cas d'abcès amibien.

La recherche à l'examen direct (Gram, May-Grunwald-Giemsa) est nécessaire. Elle peut permettre la mise en évidence de la bactérie responsable. Même en cas d'abcès amibien, la mise en évidence d'amibe est rare, car les parasites sont situés essentiellement dans la paroi de l'abcès et non dans le pus.

La mise en culture, lorsqu'elle est possible, est fondamentale pour confirmer ou mettre en évidence les germes et guider le traitement antibiotique.

En l'absence de résultat probant, la différenciation entre abcès bactérien et abcès amibien peut êtredifficile. Elle est cliniquement impossible. On se fie alors sur la couleur du liquide et, si elle est disponible, la sérologie amibienne en zone d'endémie.

V. Diagnostic différentiel

Le tableau fébrile et douloureux de l'hypochondre droit peut révéler d'autres complications infectieuses : infection pulmonaire de la base droite, embolie pulmonaire, infection intra-abdominale, cholécystite, angiocholite, appendicite sous-hépatique, pancréatite...

Une image liquidienne intra hépatique peut faire discuter une hydatidose hépatique. Le tableau est habituellement non fébrile, évoluant à bas bruit sauf dans les complications à type de rupture. Le diagnostic doit être évoqué dans les zones d'endémies. L'échographie permet de mettre en évidence des images liquidiennes, la radiographie parfois des calcifications.

VI. Pronostic

Il dépend de la rapidité du diagnostic et de la mise en route du traitement ainsi que du germe en cause et de son étiologie.

Au cours des abcès bactériens, la mortalité qui était de l'ordre de 80 % a pu diminuer de façon importante grâce à l'antibiothérapie et au drainage à l'aiguille ou chirurgical.

Au cours des abcès amibiens, le pronostic est fonction de la rapidité de la mise en route du traitement et des éventuelles complications de voisinage : rupture intra pulmonaire, intra-abdominale, péricardite, compression des organes de voisinage. Un geste chirurgical ou une ponction est habituellement inutile.

VII. Traitement

Antibiothérapie

Dans les abcès bactériens, elle doit couvrir les principaux germes responsables : entérobactéries et anaérobies. En l'absence de documentation étiologique, le choix est difficile. On fait appel à des associations du type :

  • céphalosporine de troisième génération (Métronidazole, aminosides),
  • clindamycine, aminosides,
  • ampicilline, acide clavulanique et aminoside.

Dans les abcès amibiens, le traitement de référence reste le Métronidazole à 1,5 g/jour durant 15 jours.

VIII. Conclusion

Grâce à l'amélioration des techniques diagnostiques, en particulier l'échographie, les possibilités de ponction dirigée et les nouvelles antibiothérapies, le pronostic des abcès hépatiques s'est beaucoup amélioré.

La rapidité de la mise en route du traitement est fondamentale, ce qui doit inciter à évoquer le diagnostic au moindre doute devant une fièvre avec douleur de l'hypocondre droit.