03. Information et prévention
Comment faire d'un dispensaire rural un centre de développement
L'expérience de l'infirmier
J'ai à vous faire ici le récit des activités sanitaires que j'ai entreprises au " Centre de santé" de Sadi-Kinsanga, dans la zone de Madimba, collectivité de Mfidi-Malele. Je suis un simple infirmier, qui travaille dans un dispensaire d'Etat en milieu rural, en "pleine brousse" puis-je dire, puisque Sadi-Kinsanga se trouve à cent kilomètres au-delà de Kisantu, de son hôpital et de la grand-route Matadi-Kinshasa.
Historique
Il me faut d'abord retracer brièvement l'histoire de mon arrivée et de mes premières années dans le milieu où je vis actuellement.
Je suis arrivé à Sadi-Kinsanga il y a sept ans, plus précisément en août 1968. Ma première constatation fut qu'il n'y avait pas de dispensaire digne de ce nom : il s'agissait d'un simple réduit de 1,50 x 2 m ! J'ai commencé mon travail dans des conditions vraiment très difficiles. On connaît les difficultés que nous rencontrons dans les dispensaires d'Etat, parmi lesquelles la plus pénible pour nous est la carence d'approvisionnement en médicaments. Il y a aussi l'isolement : j'ai travaillé pendant trois à quatre ans sans avoir vu un médecin venir superviser mon dispensaire... On devine aisément à quel point cela peut handicaper le travail d'un infirmier. La présence régulière d'un médecin dans notre dispensaire constitue pour nous un encouragement indispensable.
A mon arrivée à Sadi-Kinsanga, je n'avais à mon actif que cinq ans de médecine purement curative. J'insiste sur ce terme, pour dire que je n'avais jamais pratiqué de médecine préventive. Je ne m'étais pas encore intéressé à la médecine préventive, sans doute par manque de motivation personnelle. Mais le nouveau milieu dans lequel je venais de m'installer me donnait à réfléchir, tant l'état sanitaire laissait à désirer. Le milieu était franchement insalubre. Il y avait des habitations communes à la fois aux personnes et aux animaux domestiques : dans un coin on mettait les poules, dans un autre des gens dormaient. Cela existait au début. Les parcelles étaient sales, la brousse y poussait partout; on ne s'en souciait guère. Il y avait absence de latrines : les gens déféquaient un peu partout. Sadi-Kinsanga est un grand village de plus de 40 parcelles, je vous assure qu'au départ, il y avait moins de 15 latrines ! En plus, il n'y avait pas de source d'eau potable. Et les gens n'avaient aucune notion de l'usage des trous à ordures avec couvercles.
J'ai vécu dans cette situation jusqu'en 1970, me contentant d'attendre les malades au dispensaire. lis venaient, je les soignais et ils partaient. Je ne faisais franchement pas attention au reste.
Mais la situation de mon village, à la longue me torturait et faisait naître en moi une motivation pour une nouvelle orientation dans ma pratique médicale. C'est en 1971 que j'ai appris à concevoir et à réaliser un programme de santé publique sous l'égide du docteur Jancloes, alors médecin-chef du sous-secteur médical de Kisantu.
Au début, vous auriez vu, même chez moi, que de mon W.-C. les mouches sortaient et se promenaient à leur guise; je ne m'en souciais pas outre mesure. Je savais que c'était mauvais, mais je n'avais pas le courage d'arranger cela. Quand le docteur Jancloes s'est mis à superviser régulièrement mon dispensaire, je me suis senti brusquement soulagé, notamment au sujet du ravitaillement en médicaments. Parce qu'avant lui, on faisait souvent trois à quatre mois sans avoir même des comprimés de nivaquine ou d'aspirine. Maintenant, les choses allaient pouvoir changer, car je me sentais encouragé à faire du neuf.
L'assainissement du milieu
J'ai alors eu l'idée, à partir de 1971, d'essayer de sortir de mon dispensaire et de voir ce que l'on pouvait concrètement faire. Qu'ai-je fait? J'ai conçu un programme de santé publique. Par santé publique, j'entends l'assainissement et l'éducation sanitaire. J'ai soumis ce programme à mon chef direct qui était le médecin. Celui-ci m'a appuyé.
Mais avant de passer au stade de l'exécution, j'ai cru bon d'aviser les autorités politiques, car dans mon programme, je suggérais la création de comités, de comités de développement et de santé. Il fallait donc que les autorités politiques locales soient mises au courant. Même quand il s'agit de réunions de santé, il faut que les autorités puissent les permettre. J'ai contacté le chef du village qui tout de suite a donné son accord à mon projet.
Dans toute ma campagne, j'ai eu soin de ne rien imposer à la population et de lui laisser au maximum la liberté d'initiative.
J'ai invité les notables, les chefs des localités et des sous-localités ou villages, comme nous les appelons au Bas-Zaïre. J'ai présenté mon programme à ces notables et à la population par le canal des autorités locales. Je ne leur ai pas demandé si ce programme était bon, mais seulement s'ils me permettaient de l'exécuter. " Attendez, me dirent-ils, il faut que nous puissions nous réunir avant de vous répondre." Sur-le-champ, ils se retirent dans un coin, ils délibèrent et au bout de dix minutes, ils reviennent et me répondent : "Oui, nous sommes d'accord. Mais nous allons voir comment cela va débuter et ce que cela va nous donner."-
Par quoi allais-je commencer ? J'ai décidé de commencer par l'éducation sanitaire. Parce que j'ai constaté qu'il n'y a pas d'assainissement possible sans éducation sanitaire.
Mais les deux peuvent bien se faire ensemble. J'ai établi mon programme d'assainissement du milieu. Par celui-ci je visais à obtenir que tous les habitants nettoient leur parcelle chaque matin; qu'ils construisent et utilisent une latrine à fosse munie d'un couvercle; et qu'ils creusent un trou à ordures. Il s'agissait également de faire entretenir les sources par les villageois. Cela a nécessité des séances et des séances d'animation. Comment m'y suis-je pris?
J'ai commencé mon action dans mon village et plus spécialement dans ma propre parcelle, dans ma famille à moi. Je voulais ainsi offrir un modèle à imiter. Au début je suivais les indications de la "boîte à images" éditée à Kangu, que je possédais depuis longtemps. Dès que j'ai mis de l'ordre chez moi, j'ai mené ma campagne d'assainissement dans le village de Sadi-Kinsanga où j'habite. J'ai d'abord rassemblé la population pour l'entretenir de ce que j'allais faire avec elle.
Le plus pressant était de construire des latrines. Car la situation était telle que les gens déféquaient un peu partout; on trouvait des matières fécales tout le long du sentier qui mène à la source. Je leur ai expliqué que sur le plan de l'hygiène cela n'allait pas et qu'il fallait en finir. Je leur ai dit aussi que les chefs m'avais permis de faire leur éducation sanitaire, que je ne suis pas un policier ni un gendarme, que je suis là pour faire mon travail d'éducateur sanitaire et non pour leur demander de l'argent. Je leur ai demandé que chacun creuse dans sa parcelle une latrine avec couvercle. Je leur ai montré la mienne comme modèle; ils sont venus la voir et ils ont vu comment creuser et construire un W.-C. Qu'ai-je constaté après ? Les villageois avaient chacun sa latrine. Y allaient-ils seulement? Non, il fallait surveiller cela. Au début je faisais mes visites de contrôle et de motivation deux fois par semaine; et je profitais du "nsona", un jour de semaine que les Bakongo ont l'habitude de s'octroyer, pour faire mes séances. Le dimanche aussi, parfois je partais pour pratiquer mon éducation sanitaire. Au départ cela a été difficile.
Après deux ou trois séances de supervision, les gens étaient contre moi et ennuyés. " Avant lui, nous étions bien. Est-ce que nos ancêtres n'avaient pas de maladies ? N'allons-nous plus mourir, maintenant qu'il est là" ? Les murmures m'étaient chaque fois rapportés. Je me disais chaque fois : "Tant pis, c'est bon signe pour moi, cela m'encourage." Et je continuais. Je suis alors passé à un stade suivant : celui de faire de l'éducation sanitaire proprement dite. Les gens avaient tous leur latrine. Même s'ils n'y allaient pas, comme je l'ai constaté encore, ils les avaient, ne fût-ce que pour me faire plaisir. C'est déjà un résultat. Le reste, me suis-je dit, viendra avec les séances d'éducation sanitaire.
INFORMATION ET PREVENTION
I. A QUI S'ADRESSE-T-0N ?
En Afrique comme ailleurs, la transmission des habitudes d'hygiène passe surtout par la femme. Pour les soins de l'enfant, la jeune maman est guidée essentiellement par le savoir de la grand-mère. Il s'agit donc de toucher en priorité les jeunes filles, mais aussi les jeunes garçons, dès l'école, par des exposés brefs et des slogans faciles à retenir.
L'information pédiatrique aux jeunes mamans se fera dans les PMI, les centres médicaux, les hôpitaux.
La grossesse est une période de choix pour expliquer aux femmes comment s'occuper de leur enfant, Votre but est donc de donner une information nouvelle, et de remettre en question certaines informations traditionnelles.
II. P0URQUOI DOIT-ON INFORMER
On entend habituellement dire . "Nous avons toujours fait cela, donc c'est bon." (Exemple le gavage traditionnel). Ce principe va à l'encontre de tout progrès.
L'infirmier peut, à l'occasion d'une discussion ouverte (sans imposer brutalement son point de vue), expliquer le mécanisme d'une maladie et comment l'éviter.
Habituellement, l'hôpital doit traiter des cas amenés tardivement. Cela coûte cher en médicaments, en frais d'hospitalisation et d'examens, en souffrances et, ultérieurement en séquelles. Il est infiniment préférable d'expliquer le sevrage à une jeune maman pour éviter que son enfant ne fasse un kwashiorkor aggravé par un paludisme que l'on aurait pu éviter ou atténuer par une nivaquinisation de quartier. Qui n'a vu de tels enfants contracter la rougeole au sein même de l'hôpital et en mourir ? L'a encore, le personnel sanitaire doit informer sur la possibilité de la vaccination anti-rougeoleuse.
III. QUI DOIT-ON INFORMER ?
Infirmiers, sages-femmes, médecins et assistantes sociales ont le devoir de divulguer leurs connaissances à l'ensemble de la population
pour que celle-ci participe activement à sa santé, avant que la maladie ne touche l'un de ses membres. Le corps médical et para-médical éduqués des années durant pour faire du curatif, doit consacrer une partie de son temps au préventif. La faiblesse des moyens en matériel et en médicaments de certains postes les pousse naturellement dans le développement des moyens de prévention.
Une grande place devrait être accordée, par les écoles d'élèves infirmières et sages-femmes, à des stages de prévention sur le terrain, intégrés aux études.
Les élèves pourraient être testées par exemple sur des causeries qu'elles animeraient elles-mêmes. Moniteurs et monitrices doivent, par leur exemple professionnel, savoir provoquer la passion chez leurs étudiants. Il n'y a pas d'éducation sanitaire de qualité sans passion ni volonté. L'instituteur, conseillé par l'infirmier, doit éduquer les futurs parents, en introduisant des notions d'hygiène médicale dans ses cours. Les journalistes peuvent publier des articles sur la santé publique.
IV. DE QUELS MOYENS DISPOSE-T-ON POUR DIFFUSER LES METHODES DE PREVENTION ?
Quel que soit le moyen utilisé, on s'efforcera de choisir un thème unique (nutrition, ou vaccination, ou hygiène de l'eau) en langue locale, avec des mots simples, précis, non techniques. Il est bon de préparer un slogan qui, répété, prolongera l'exposé.
a). La parole est le moyen de première ligne parce qu'elle ne coûte rien, peut être utilisée par tous et en tous lieux. Parler peut se faire au cours d'une causerie (au village, sur un marché, dans l'hôpital) après avoir réunir au tam-tam les auditeurs concernés.
La causerie comprend, en règle générale, un exposé et une discussion.
L'animateur doit susciter les questions et y répondre, Un changement d'habitudes se justifie.
Par exemple il arrive que, pendant la rougeoie, certains déconseillent la prise d'oeuf et de boisson. Il est facile de faire valoir que l'oeuf est un aliment riche en protides apportant de la force à un organisme faible.
Sa consistance semi-liquide le rend plus facile à avaler compte tenu de la stomatite.
L'apport de boissons combat la perte d'eau due à la fièvre et à la diarrhée.
Lorsque vous donnez un conseil de prévention à une personnes, demandez-lui de bien vouloir le répéter à une voisine qui devra le répéter elle-même, et ainsi de suite... Vous reprenez ainsi le mécanisme de la "rumeur", au profit du message que vous voulez faire passer.
b) La radio est un des plus puissants moyens actuels d'information. Grâce au transistor, elle touche dans le même moment presque toute la population, quels que soient son âge et sa répartition géographique. Ici encore, on peut proposer chaque mois un thème donné développé par un infirmier ou un médecin, et chaque jour un bref slogan résumant l'émission.
Une "table ronde" peut réunir toutes les personnes qui, dans l'administration ou le corps de santé, veulent changer l'état sanitaire de la population,
c) Les dessins ou affiches sur papier peuvent compléter l'information et aider à fixer une idée force. Vous pouvez demander à l'artiste du village de faire une peinture sur bois (par exemple les éléments utiles de l'alimentation du bébé). De même, on peut utiliser un flanellographe : il s'agit d'un panneau sur lequel il est possible de fixer des figurines de feutre.
d) Pourquoi ne pas demander aux étudiants ou à des artistes de monter de petites pièces de théâtre, sur un sujet de prévention. Le spectacle frappe davantage les esprits qu'une causerie et les villageois ou les habitants du quartier peuvent y participer.
e) La cassette et les petits magnétophones portatifs sont répandus dans les régions les plus isolées. Vous pouvez utiliser une face pour parler de la malnutrition, l'autre pour évoquer les soins habituels à donner aux enfants. L'enregistrement en langue locale peut être rendu plus attrayant et vécu en interrogeant une maman dont, par exemple, vous avez guéri l'enfant d'un marasme ou d'un kwashiorkor. On peut intercaler un peu de musique. Il est préférable de rester auprès des mères pendant et après l'écoute pour répondre aux questions et commenter. Si vous n'êtes pas originaire de la région, vous faites un texte qui est traduit et enregistré.
On peut demander à une personne non spécialisée, mais motivée, de faire passer cet enregistrement dans les villages éloignés du centre médical où l'on travaille. Il est recommandé de doubler la cassette, qui peut se casser ou se coller. Il est aussi possible de coupler un tel enregistrement avec une projection de diapositives qui explicitent le texte.
f) Il existe des films de cinéma, traitant de la prévention. On les trouve dans les centres culturels. Leur inconvénient est double : ils ne sont pas en langue locale et demandent un matériel lourd.
g) La télévision ajoute l'image à la parole. Son effet de fascination en fait dès à présent un excellent moyen.
Pour l'avenir, le "magnétoscope" (enregistrement de cassettes télévisées) doit bouleverser l'accès aux connaissances.
CONCLUSION
Quels que soient les moyens à votre disposition, chacun peut faire, à son niveau, de la prévention. Contrairement à la médecine curative, la prévention peut se faire sans argent. Vous devez informer en premier les enfants, qui sont les plus réceptifs. Hygiène et médecine étant pris comme un ensemble, vous obtiendrez une baisse du nombre d'hospitalisations et de la mortalité infantile.
Développement et Santé, n° 4 et 29