Le rôle d'une psychologue auprès de femmes et d'enfants concernés par le VIH/SIDA

Par Par Louise- Hortense Aka Dago-Akribi Psychologue clinicienne

Publié le

Le VIH/SIDA est une pandémie mondiale qui touche l'individu non seulement sur le plan physique, mais également psychique car il renvoie à une angoisse de mort et de fin de vie.

La prise en charge médicale a montré son efficacité. Cependant, la personne concernée par le VIH pose des problèmes autres que ceux entrevus dans les symptômes physiques "Je ne suis plus une femme ! Comment ai-je pu donner le sida à mon enfant ? Comment vivre mon adolescence alors que je suis déjà mort ? Pourquoi prendre autant de médicaments ? Je ne sais pas avec qui parler de la maladie...".
Autant de réactions qui interpellent sur l'aspect psychologique. Elles ont conduit la plupart des équipes à intégrer l'intervention du psychologue dans le but d'optimiser la prise en charge globale du patient infecté par le VIH.

C'est dans le cadre de différents projets de recherche de l'Agence Nationale de Recherche sur le Sida (ANRS) Ditrame ANRS 049, Ditrame plus ANRS 1201-1202, Programme Enfant de Yopougon ANRS 1277/1278, menés à Abidjan pour les femmes enceintes, les enfants et les adolescents ainsi que leurs parents que cette consultation originale a été développée.

Quels sont les objectifs spécifiques de cette consultation, comment est-elle pratiquée et quels en sont les effets ?

I. Problématique

La consultation psychologique proprement dite est plus spécifique que la prise en charge psychosociale couramment pratiquée. Elle permet une rencontre approfondie avec la personne à partir d'une demande précise et permet de l'aider à assumer son quotidien avec le VIH, à vivre mieux en trouvant des ressources en elle-même. La demande est toujours en relation avec un mal-être. La personne concernée par le VIH, vit un choc, un traumatisme qui gêne le déroulement normal de sa vie. Le VIH/SIDA réveille en elle différents sentiments et émotions : l'angoisse de la maladie, de la mort, la perte d'assurance, la culpabilité, l'agressivité... La consultation psychologique va donner à la personne un espace privilégié d'écoute et de parole facilitant l'expression des difficultés du quotidien dont elle n'ose souvent pas parler au cours de la consultation médicale classique (difficulté à gérer le secret, projection forte sur l'enfant, culpabilité).

Les problèmes exposés sont divers : en général, les entretiens révèlent le caractère injuste de la maladie et les difficultés pour l'annonce, la gestion du secret (couple parental, enfant, fratrie, famille), la prise d'un traitement à vie. De façon particulière, on entend

  • Chez les femmes, le désir d'enfant, le fait de ne plus être une femme (ne plus pouvoir avoir d'enfant, l'adoption de nouveaux comportements concernant l'alimentation du nouveau-né, l'usage du préservatif, la pratique d'une sexualité protégée...).

  • Chez les parents et surtout les mères ou leurs substituts, l'angoisse et la culpabilité (la plupart des enfants sont infectés par leur mère). Lorsque l'enfant est très jeune, on observe des difficultés pour l'éduquer, le discipliner, lui donner des limites, ce qui témoigne d'une absence de projet d'avenir.

  • Pour cet enfant très souvent malade, on ne fait pas d'inscription ou on le retire de l'école... Des conduites pathologiques se produisent parfois : projection forte sur l'enfant, surprotection par rapport aux autres membres de la fratrie, enfant gâté, deuil anticipé, rejet de l'enfant. L'observance du traitement pose également des problèmes en raison de la difficulté à investir un traitement prolongé (même s'il est gratuit pour l'enfant) - "A quoi bon, puisque c'est un enfant qui va mourir..." se disent souvent les parents, parfois parce qu'ils n'ont pas accès aux ARV trop coûteux pour eux-mêmes.

  • Chez les enfants plus âgés (pré-adolescents, adolescents), le VIH vient accroître la crise physiologique de l'adolescence. L'adolescence est en effet une période conflictuelle normale du développement psychologique de la personne au cours de laquelle elle est dans une grande revendication et agressivité par rapport aux adultes et aux repères. Au cours de cette période, le sujet va connaître des transformations physiques dues à la croissance staturale et à la puberté, et de nouvelles pulsions sexuelles et affectives. Il vit mal le fait d'avoir une maladie alors qu'il n'a pas encore eu de rapports sexuels qu'il ressent comme dangereux ou interdit. Il est perturbé par les réactions de stigmatisation qui l'obligent à garder le secret et prendre quotidiennement ses médicaments (ARV), en cachette de son entourage. Il en veut à ses parents et plus particulièrement à la mère de l'avoir mis au monde avec cette "tare", juge négativement son passé et s'autorise à la rejeter. Cela entraîne trop souvent des manifestations d'agressivité, un refus d'aller à l'école, une opposition à tout ce que les parents trouvent positif pour lui. On note l'expression violente de ses frustrations et des oppositions franches. Les parents éprouvent de grandes difficultés pour lui annoncer son statut et probablement le leur. Les réactions sont très vives avec souvent des prises de risques (refus de prendre le traitement...).

II. Mise en place de la consultation : pratique

La consultation psychologique se déroule dans le contexte de la prise en charge thérapeutique (ARV et traitements pour les maladies opportunistes).

En pré-requis, il s'est avéré important de former et d'informer le personnel soignant sur le rôle de la psychologue afin qu'il puisse orienter les patients pour la consultation.

1. La consultation psychologique individuelle

Elle vise le soutien, l'aide, mais aussi le conseil et l'orientation. En effet, le caractère épidémique du VIH/SIDA, nous oblige à sortir du cadre strict des méthodes de la psychologie clinique que sont l'écoute et la médiation, pour orienter et conseiller les patients. Celle-ci se déroule dans une salle qui permet la confidentialité. En effet, elle est le lieu où le patient sans crainte peut exprimer ses souffrances, ses difficultés liées à l'angoisse du VIH. Par la suite s'il le souhaite, le partenaire, l'enfant peut venir pour permettre la résolution de situations difficiles. Les échanges s'élaborent autour de la parole, mais pour les enfants, les adolescents on utilise également des activités manuelles telles que les dessins...

Il existe deux types de consultation psychologique individuelle : la consultation systématique et la consultation en situation anxiogène.

a) La consultation systématique

Elle concerne l'approche de tous les enfants suivis afin de mieux connaître leur développement psychologique, mais également de prévenir les troubles liés au VIH et aux difficultés relationnelles avec les parents, l'entourage. Nous utilisons pour cela des tests psychologiques adaptés en plus des entretiens.

b) La consultation en situation anxiogène

Elle se produit lorsqu'une personne est confrontée à une situation particulière liée ou non au VIH : dépression (pleurs, perte de l'appétit, insomnies, cauchemars...), crise dans la famille ou le couple en raison de l'annonce, désir de mourir et refus de prendre des médicaments, agressivité, désir de suicide, relation difficile avec l'adolescent... La demande peut émaner directement de la personne si elle est familiarisée au rôle de la psychologue au sein de cette structure ou si elle a déjà entendu parler de la psychologie, mais en majorité, les patients sont orientés par le personnel (médecin ou conseillère). Le travail de la psychologue se fait en coordination avec celui du médecin et de la conseillère sociale car il débouche souvent sur la nécessité de faire des visites à domicile ou sur celle d'évoquer la prise en charge des maladies psychosomatiques.

Dans ces deux cas, il s'agit de consultations individuelles qui peuvent s'ouvrir à d'autres personnes de l'entourage en accord avec le patient.

2. Les groupes de parole

En dehors des consultations individuelles, se sont mis en place des groupes d'auto support. Ce sont des groupes de parole composés de pairs vivant avec le VIH mais à des étapes différentes de la connaissance de leur infection. C'est le cas pour le groupe de femmes, le groupe d'adolescents.

Un autre type de groupe de parole peut se constituer avec des parents d'enfants infectés, eux-mêmes infectés ou non ou leurs substituts (tuteurs des enfants après le décès des parents).

Dans tous les cas, ces personnes se rencontrent et échangent autour de leurs difficultés liées au VIH. Elles se mobilisent, s'organisent dans une certaine lutte contre la maladie. La psychologue joue un rôle de médiateur permettant plus d'objectivité par rapport à la réalité du VIH/SIDA. C'est le lieu où échanger leurs expériences et se soutenir mutuellement à travers des conseils, parfois des critiques. L'isolement est moins ressenti par la constitution d'un groupe d'appartenance.

3. Cadre de la pratique

Pour faciliter les échanges mais aussi proposer une aide, nous avons à la fois une position neutre et une action de conseil, de prévention, d'orientation. Il faut faire preuve de prudence et mettre en avant l'importance de la confidentialité.

Il s'agit de ne pas juger la personne mais de comprendre sans reproches ses revendications, sa colère, sa culpabilité, ses sentiments hostiles. Cela nécessite le respect, la disponibilité. La personne doit se sentir bien accueillie et en confiance, acceptée et écoutée.

La position de proximité au cours de l'entretien, le fait de toucher la personne la rassure car du fait du VIH et des stigmates, elle craint le rejet et l'isolement.

III. Conclusion

Cette approche particulière des personnes vivant avec le VIH, leur permet de trouver des repères pour vivre au quotidien, d'adapter leur comportement et de mieux s'assumer. La consultation psychologique est un soutien important et les effets sont sensibles dans le mieux être de ces personnes.

On ne peut penser la prise en charge des personnes infectées par le VIH et de leur entourage sans inclure les aspects psychologiques. Malheureusement, par manque de ressources humaines, et parfois par défaut de compréhension du rôle bénéfique du psychologue, ces consultations spécifiques restent limitées à des programmes de recherche ou à des centres pilotes. Le relais est souvent pris par des conseillers sociaux ou des associations de personnes vivant avec le VIH, qui apportent soutien et conseils mais, ceux-ci, faute de formation adaptée et de cadre clinique, ne peuvent jouer le même rôle qu'un professionnel de la psychologie. Espérons que cet article contribuera au développement de cette pratique, partout où elle est rendue nécessaire par l'accumulation de souffrances physiques et psychiques que peuvent subir un individu ou une famille.

Développement et Santé, n°173, octobre 2004