Diagnostic d'une anémie ferriprive

Par Françoise Balédent Biologiste - Saint Denis

Publié le

L'anémie ferriprive est due à une carence en fer (anémie par carence martiale). C’est la plus fréquente des anémies, elle affecte toutes les tranches d'âge, dans tous les pays.
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (2009), environ 25 % de la population mondiale présente une anémie. La moitié de ces cas serait attribuable à une carence en fer.

La quantité totale de fer dans l’organisme est stable et résulte d’un équilibre entre les entrées et les sorties. L’anémie ferriprive résulte d’une rupture de cet équilibre, par diminution des entrées ou augmentation des sorties.

Les causes de l’anémie ferriprive peuvent être :

  • un manque d’apport en fer. En effet, l’organisme ne peut synthétiser le fer et doit donc le puiser dans les aliments.
  • une augmentation des besoins, non compensée par un apport suffisant.
  • des pertes sanguines, aiguës ou chroniques.

Très rarement, elle peut être attribuable à des problèmes d’absorption ou d’utilisation du fer dans l’organisme.

I. Diagnostic

1. Clinique

Les symptômes de l’anémie ferriprive ne sont pas spécifiques et passent souvent inaperçus, le diagnostic n’étant posé qu’à un stade déjà avancé de la carence en fer.
Les symptômes dépendent en grande partie de la vitesse à laquelle l’anémie s’est installée. Lorsque l’anémie apparaît progressivement, ce qui est habituel dans les anémies par carence martiale, elle est le plus souvent bien tolérée.

Certains symptômes ne sont pas spécifiques :

  • fatigue, dyspnée d’effort, céphalées, vertiges, diminution des performances intellectuelles,
  • pâleur, pouls accéléré.

D’autres sont plus évocateurs :

  • troubles des phanères : ongles fragiles, minces et cassants, striés en cupules (koïlonychies), cheveux secs et cassants,
  • signes digestifs : perlèche, glossite avec atrophie des papilles linguales, dysphagie,
  • signes cutanés : peau sèche, prurit.

Une splénomégalie modérée est parfois retrouvée, surtout chez l’enfant.
Ces signes sont évocateurs d’une anémie, le contexte clinique pouvant orienter vers un diagnostic étiologique.

2. Biologie

Elle viendra confirmer l’anémie et permettra d’affirmer la carence martiale.

1. La numération globulaire permet de préciser l’anémie

L’anémie se caractérise par une diminution de l’hémoglobine :

  • Le taux d’hémoglobine : est la concentration d’hémoglobine dans le sang, exprimée en grammes d’hémoglobine par litre de sang (g/L) ou par 100 ml de sang (g/dL).
  • Le taux d’hématocrite : est le rapport, exprimé en pourcentage, du volume des globules rouges d’un échantillon de sang sur le volume sanguin total de cet échantillon.
  • Le nombre de globules rouges : est le nombre de globules rouges contenus dans un volume de sang donné, normalement exprimé en millions de globules rouges par microlitre de sang (ou en millions x 10¹²/L).

Ces valeurs permettent d’établir les constantes érythrocytaires :

  • VGM : volume globulaire moyen
    • VGM = Hte/GR, valeurs de référence : 80 à 95 femtolitres (fl)
  • CCMH : concentration corpusculaire moyenne en hémoglobine
    • CCMH = Hb/Hte, valeurs de référence : 31 à 35 g/dL
  • TCMH : teneur corpusculaire moyenne en hémoglobine :
    • TCMH = Hb/GR, valeurs de référence : 27 à 31 picogrammes (pg)
Valeurs de références (se référer aux valeurs normales établies par le laboratoire)
Paramètres Homme Femme Enfant 1 an Nouveau-né
Taux d'hémoglobine normal (en g/dL) 13 à 18 12 à 16 11 à 13 14 à 20
Taux d’hématocrite normal (en %) 40 à 54 35 à 47 36 à 42 44 à 62
Nombre de globules rouges (en millions x 10¹²/L) 4,5 à 6,2 4 à 5,4 3,5 à 6 5 à 6
  • Le taux d’hémoglobine est parfois très bas < 5 g/dL, le VGM peut se situer entre 50 et 60 fl, voire moins.
  • Les leucocytes et les plaquettes sont en général normaux. Cependant, une thrombocytose est fréquente chez l’enfant, en dehors de tout syndrome inflammatoire. Une thrombopénie est très rare, mais possible. Après avoir éliminé les autres causes de thrombopénie, elle sera corrigée par le traitement martial.
  • L’examen d’un frottis sanguin permet d’examiner les globules rouges. En cas d’anémie ferriprive, ceux-ci sont petits, pâles et de forme très variable (poïkilocytose). Le centre clair de l’hématie est augmenté (annulocyte).
  • La numération des réticulocytes (valeurs de référence = 25 000 à 100.000/ mL) n’a pas d’intérêt car selon le stade de l’anémie, on observera une augmentation des réticulocytes (au début), puis une diminution progressive des réticulocytes pour arriver à un effondrement.
    L’anémie devient alors arégénérative, mais dans ce cas un myélogramme est inutile.

Les réticulocytes augmentent après recharge en fer : « crise réticulocytaire » après une semaine de traitement.
Selon le stade de la carence en fer, on observe une microcytose isolée, qui précède habituellement l’hypochromie, puis l’apparition d’une anémie progressive.

Une anémie ferriprive est une anémie microcytaire hypochrome
Anémie Microcytose Hypochromie
Hb en g/dL VGM en fl CCMH en g/dL
Chez l’adulte : < 13 chez l’homme < 12 chez la femme < 10,5 chez la femme enceinte < 80 chez l’adulte < 31
Chez l’enfant : < 13 chez le nouveau-né < 11 chez l’enfant jusqu’à 6 ans < 12 chez l’enfant de 6 à 14 ans < 70 avant 2 ans < 73 de 2 à 6 ans < 80 de 6 à 14 ans

2. La confirmation du diagnostic d’anémie ferriprive

  • Le taux de fer sérique : il détecte la quantité de fer en circulation dans le sang, il est abaissé, inférieur à 9 µmol/L (valeurs de référence = 9 à 30)

  • Le taux de transferrine : le taux de transferrine disponible, protéine de transport du fer, augmente en cas de carence en fer.

  • Le coefficient de saturation de la transferrine est ainsi diminué (valeurs de référence : 20 à 40%) et la capacité totale de fixation est augmentée.

  • Le taux de ferritine : c’est le meilleur examen pour poser le diagnostic de carence en fer : il donne une estimation des réserves de fer (dans le foie, la rate et la moelle osseuse).En cas de carence en fer, sa valeur diminue en dessous de 20 µg/L (valeurs de référence : 20 à 190 chez la femme et 30 à 230 chez l’homme).

    Attention : son interprétation doit d'abord éliminer un état inflammatoire chronique, une cytolyse hépatique ou une hyperthyroïdie, situations où la ferritine s'élève indépendamment de l'état des réserves. Dans ce cas une carence martiale associée pourrait se traduire par un taux de ferritine faussement normal. Des examens plus spécifiques, comme le dosage de la ferritine érythrocytaire, ou du récepteur soluble de la transferrine, sont réalisables dans les laboratoires spécialisés.

II. Diagnostic étiologique

Le diagnostic d’anémie par carence en fer étant posé, il reste à déterminer l’étiologie de cette anémie.

Principales étiologies

  • Grossesses multiples et rapprochées, par augmentation des besoins.
  • Enfants, surtout de 6 mois à 4 ans, et adolescents par augmentation des besoins et défaut d’apport.
  • Pertes sanguines :
    • chez les femmes en âge de procréer, lorsque les menstruations sont très abondantes.
    • aiguës (epistaxis) de volume variable au cours des semaines précédentes
    • ou peu abondantes mais chroniques (ulcère gastroduodénal, hernie hiatale, polypes, cancer colorectal).
  • Maladies inflammatoires digestives, entraînant une malabsorption du fer : maladie de Crohn ou maladie coeliaque.
  • Insuffisance rénale, dialyse.
  • Les régimes végétariens entraînent une carence d’apport en fer assimilable. La géophagie entraîne également une carence en fer.
  • Une ankylostomiase.
  • Certains médicaments :
    • L’acidité de l’estomac transforme le fer alimentaire en une forme assimilable par l’intestin. Les antiacides de type inhibiteurs de la pompe à protons, utilisés pour soulager les brûlures d’estomac, inhibent cette transformation.
    • L’acide acétylsalicylique et les anti-inflammatoires non stéroïdiens peuvent être responsables de saignements gastriques.
Contexte clinique Etiologies les plus fréquentes
Enfant et adolescent Allaitement prolongé Besoins accrus non compensés par un apport suffisant Ankylostomes
Femme en âge de procréer Métrorragies abondantes Grossesses multiples et rapprochées Stérilet
Femme ménopausée et homme Saignement digestif +++ Hémorragies diverses (ménorragies d’un fibrome utérin, épistaxis…)
Carence d’apport par troubles de l’alimentation Régime végétarien Pica (géophagie) Grands buveurs de thé Dénutrition
Causes médicamenteuses Anti-acides Acide acétylsalicylique
Troubles de l’absorption Gastrectomie Maladie cœliaque, maladie de Crohn

III. Diagnostic différentiel

Il ne faudra pas confondre une anémie par carence martiale avec :

  • une anémie inflammatoire (anémie normocytaire au début, puis microcytaire, fer sérique diminué, mais transferrine diminuée et ferritine normale ou augmentée)
  • une thalassémie (anomalie quantitative de l’hémoglobine) : la thalassémie et une carence en fer peuvent être associées. Dans ce cas, il est essentiel de corriger la carence en fer avant d’effectuer une électrophorèse de l’hémoglobine car l’HbA2 est diminuée dans les carences en fer. Le rapport du VGM sur le nombre de globules rouges peut être intéressant, devant une microcytose : il est > 14 dans les carences en fer et < 14 dans les thalassémies.
Carence martiale Anémie inflammatoire Thalassémie
Microcytose + - ou + +
Hypochromie + - ou + -
Fer sérique Diminué Diminué Normal ou augmenté
Transferrine (Tf) Augmentée Diminuée Normale
Ferritine Diminuée Normale ou augmentée Normale ou augmentée

Plusieurs causes d’anémie peuvent être associées et il faudra se méfier des mécanismes multiples :

  • carences en fer associée à une carence en folates : l’anémie dans ce cas peut être normocytaire;
  • carence en fer et hémolyse (paludisme…);
  • hémorragie et carence d’apport : double étiologie pour une carence en fer.

IV. Le traitement

Il vise à corriger l’anémie et à reconstituer les réserves en fer.
Il doit durer plus de 3 mois, en moyenne 5 à 6 mois.
L'anémie est corrigée en 1 à 2 mois mais le traitement doit être poursuivi pour reconstituer les réserves.
La mise en place du traitement sera suivie de l’apparition d’une réticulocytose en quelques jours, puis de la normalisation de la numération globulaire.
Un dosage de la ferritine permettra de contrôler la reconstitution des stocks de fer.
Le traitement de la cause est indispensable et spécifique.
L'hémogramme après correction peut conduire à détecter une rechute.

Conclusion

L’anémie ferriprive est la plus fréquente des anémies.
Le diagnostic en est simple à partir d’une numération globulaire, qui met en évidence une anémie microcytaire hypochrome.
Un dosage de ferritine, lorsqu’il est possible, permet de confirmer la carence en fer et d’apprécier les réserves en fer.
Selon l’âge, le sexe et le contexte clinique, le diagnostic étiologique est en général facile à poser. Chez l’adulte, les étiologies gynécologiques, chez la femme, et digestives sont à rechercher en priorité.

Voir aussi sur le site :
Laboratoire et anémie : Développement et Santé, 2006
Morphologie des hématies normales et pathologiques : Développement et santé, Octobre 2002

Juin 2011